Pour une esthétique hospitalière relationnelle


Une préoccupation liminaire accompagne la présence de toute œuvre d’art. À savoir, ce que peut la fiction qu’elle propose. Autrement dit, ce qu’elle met en mouvement lorsqu’un spectateur la contemple. Quel pouvoir exerce donc une œuvre ? Ce qui amène naturellement notre réflexion à s’interroger sur les relations tissées avec son environnement et ceux qui l’habitent – les relations entre les intentions de l’auteur, la présence d’une œuvre et les effets sur leurs témoins.


Deux perspectives se dégagent. La première confère aux œuvres artistiques et poétiques la capacité de guérir. Ou, pour le moins, d’ouvrir des potentialités à recouvrer un équilibre compromis, perdu par la maladie. Les auteurs de l’œuvre, animés par cette intention thérapeutique, mettent tout leur savoir-faire au service de cette efficace pour l’intégrer dans leur création. Sans rien céder aux exigences esthétiques, ils nous présentent des œuvres dont les qualités intrinsèques contiennent cette sérénité intense, ce calme bienveillant, cette présence aux rêveries amicales, ce pouvoir de réconciliation, que nous apprécions tant car ils nous inspirent. Des œuvres fortes sans être violentes. Des œuvres intimes – leur souffle clarifie, allège et détourne – qui fuient les excès spectaculaires ou les abêtissements médiatiques actuels. Plusieurs exemples, relevant de l’art moderne ou contemporain, en appellent directement à ces processus visant à la restauration, au rétablissement et au réconfort. Des artistes explicitent cette prétention dans textes et des entretiens – nous pensons ici à Henri Matisse, à Joseph Beuys, Fernand Léger ou Lygia Clark.


Cette détermination contribue à affirmer une appréciation de l’art comme liant social, ou comme restructuration de la personne. La musique est assez fréquemment perçue comme un moyen favorisant les guérisons – elle adoucirait les mœurs, d’où un principe de santé esthétique, un art médecin, dont l’aboutissement clinique pourrait déboucher sur des prescriptions esthétiques ou poétiques à des fins thérapeutiques …


La deuxième perspective relève d’un principe plus directement lié au plaisir, celui la création, de l’interprétation ou de la simple délectation. Cette approche cultive l’esthétique ou le poétique pour eux-mêmes. Attentive aux bouscules du plaisir et du désir, elle insinue que plus l’art se réfèrera à l’art, plus ses œuvres, ses installations et les situations qu’il engage, seront esthétiques, artistiques, créatives, dialogiques et dicibles, plus d’autres dimensions, ou d’autres usages pourront venir s’y accorder, mais de surcroît – qu’ils soient thérapeutiques, de communication, économique, de reconnaissance et de pouvoir. Dans le fond, l’art n’est que ce qu’il est. Et cela suffit amplement à sa démonstration et à ses distinctions.


Notre attachement à la diversité des approches culturelles nous interdit de choisir entre l’une ou l’autre de ces deux approches, pour autant que chacune d’entre elles aille jusqu’aux limites du jeu de ses enjeux et manifeste le plus intensément ses prétentions.


Car, ce qui nous intéresse, c’est d’abord ce privilège accordé aux processus artistiques ou poétiques dans leurs dimensions relationnelles, événementielles et humaines. Quand l’effectivité esthétique ouvre au partage du sensible, à la conversation, au dialogue, aux récits et aux rencontres. Quand la contemplation débride les rêveries, déplie des méditations, caresse ou autorise de simples délectations. Quand ils s’intègrent au quotidien hospitalier dans une dynamique généreuse, jouissive, qui interpelle délicatement, élégamment, et redistribuent différemment les choses, agrandissant des horizons au possible, malgré tout. Quand des œuvres s’accordent aux personnes, en les considérant tout à la fois dans leurs dimensions physiques et spirituelles, leurs goûts et leur entendement, leur doute et leur souffrance, renouvelant leur désir de vivre, leur plaisir d’exister.


En fait, notre ambition vise à assurer, par la simple présence de l’art, de la culture et des lettres, une esthétique hospitalière relationnelle.


Les œuvres proposées par Robert Combas et Patricia Righetti répondent singulièrement à cette aspiration tout en se prêtant parfaitement à une diversité d’attentes telles qu’elles pourront s’exprimer dans le cadre de ces soins palliatifs exemplaires prodigués au Cesco.