Dissidence esthétique
à la manière de Jacques Rancière
Une représentation, des images se métamorphosent en d’authentiques photographies dès lors que leur fiction vient perturber ce qui est regardé pour l’ouvrir et l’engager à une pluralité d’interprétations différentielles. Comme les mots deviennent poètes lorsqu’ils nous disent autre chose que l’entendu ou le déjà lu. Si la beauté est cruelle – son sentiment ne se laisse jamais vraiment saisir à l’instant ni enfermer sous une forme fixe – l’esthétique, elle, bouleverse, relance, détourne, subvertit. Précipite et surprend toujours. Il nous faut insister sur cette fonction perturbatrice première. L’esthétique ne peut être qu’irruption, dissensus, comme le dit si bien le philosophe. Les mots tentent de rendre pensables ces photographies esthètes en allant jouer sur leur propre registre. Leur puissance disruptive se reconnaît aux récits qu’ensemble, mots et photographies, insinuent pour miner le réel. Dans ces conditions regarder, c’est déplacer, déstabiliser, voire attenter volontairement à ce qui est contemplé pour l’interpréter autrement. Tenter d’approcher d’un peu plus près cet indicible caché dans la vision. Passer de l’intuition à une intention créatrice. Pour partager le renouvellement des relations. Se donner les conditions de changer, peut-être. Advenir. Accorder sens possibles. Les rêveries, à la fois conversation entre contemplation et introspection, ajoutent conscience d’une présence incarnée aux relations considérées. Aux impressions peut alors venir s’ajouter la matière des mots quand ils font correctement leur travail de mot, comme une transcendance, une épaisseur spirituelle légère, une substance amicale. Un plaisir d’être ensemble. Et, nomades, de cheminer.
Autrement dit. Que de se confronter, de se tenter au réel, bouleverse ! Et perturbe les introspections. Réaménage les pensées. Fissure les certitudes. Les fictions se détournent, s’envolent en des relations approfondies. Entendre nos sentiments revenir sur l’indicible consistance de la photographie. Pour, peut-être, ouvrir sa matière, projeter sa substance vers l’ailleurs, l’autrement, dynamiter comme le font délicatement les mots présences quand ils parolent juste. L’expérience de ces métamorphoses éprouve, car leur passage-rencontre est une irruption jouant du dissensus pour mieux attenter. Changer des matérialités, alléger, fluidifier en représentations différentielles. Le récit insinue, précipite, concentre et bouleverse une beauté. Interpréter sa vérité n’est que saisir son mouvement, déplacer, aller plus loin, ou plus près, c’est selon notre désir. Aux impressions considérées, sa vérité se relance spirituelle, rêveries pensables, contemplations poétiques, formes palpables, musiques dansées, simplifications spirituelles. À regarder l’esthétique perturber ce qui va trop bien de soi pour l’engager vers la conscience et vernir s’interposer en conversation entre images et mots ajoute puissance propre et sens possible à sa fonction. Et cela suffit à notre plaisir. À cette inquiétante étrangeté de la beauté ordinaire.
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