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Actualités

Anja


Magnifique ingénue à la cuisse spirituelle et au bouton public, des formes pleines et fermes, la peau douce et mate des brunes du Sud, légèrement marbrée de veinules bleues, le con soyeux, joyeux et complice comme toutes les bouches du bas qui s’adonnent sans compter à l’histoire de leur charmante nature, Anja n’a pas l’âme pécuniaire ni le féminisme préservatif. Belle, jeune, intelligente et sensible, elle vit comme toutes les femmes libérées. Elle sourit à la vie – à toute la vie – sachant qu’elle reçoit à la mesure de ce qu’elle sait donner. Enchanteresse de cette sagesse vestale, son temple s’ouvre aux libations des offices sincères. À genoux, debout, inclinée ou couchée, elle se prête à la caresse des prières humides, aux antiennes murmurées au creux de l’ombilic. Sa langue tourne sept fois en sa bouche laissant fondre les hosties consacrées aux infinis plaisirs du bien-vivre. Elle se confesse volontiers à l’édification des hommes d’âge mûr. Anja fuit la moraline de ces bécasses sur le retour qui, asséchées, cilicées, bâillent aux béatitudes des touche-pipi hantant des sacristies catholiques.

Obscurantime


Ensuite du vote du peuple suisse interdisant l’implantation de nouveaux minarets fleurissent de multiples réactions. Du commentaire débile à de subtiles réflexions, le sujet interpelle par ses sous-entendus, ce qu’il n’aborde pas de front. Ainsi, le respect des droits humains fondamentaux, universels, dans toute son ampleur, les égards dus à tout un chacun, la liberté de penser et de mouvement, l’équité dans les relations, tous des principes intangibles ne supportant jamais d’être attentés. Toute ma vie je me suis engagé pour les respecter absolument, sachant que l’exemple reste leur meilleure défense. Reste à répondre aux situations limites, quand ces droits sont interprétés en des situations si singulières qu’ils tombent de l’autre côté. Faut-il descendre dans la rue, vociférant, le poing levé, pour défendre l’implantation dans le paysage public des symboles nés de l’obscurantisme religieux, clochers, croix papistes et autres minarets, élevés contre l’Esprit des Lumières. Dois-je me battre pour l’excision au prétexte de défendre quelques traditions ? Et le port du voile ? J’en doute !

Insécurité


Dans l’avalanche des publications récentes, quelques livres ressortent lumineux par l’intelligence de leur propos. Moments politiques de Jacques Rancière appartient à cette rare catégorie des œuvres pénétrantes par l’éclairage apporté à une préoccupation actuelle. L’insécurité, démontre l’auteur, est moins un ensemble de faits qu’un mode de gestion de la vie collective. L’intoxication médiatique quotidienne assène sous toutes leurs formes les dangers, risques et catastrophes, appuyée par la vogue intellectuelle des discours catastrophistes si raisonnables – le réchauffement de la planète, l’islamisme, le terrorisme, l’incivilité des banlieues, la crise économique – cache mal sa fonction idéologique – que chacun, surtout les plus inégaux, accepte d’être inégalement traité par la grâce des consensus. Par une diffusion incessante, il faut banaliser les régressions sociales, asséner des évidences sensibles – chacun pouvant être atteint, que chacun reste à sa place, acquiesce à ce qui arrive ! Or, la politique, c’est de s’occuper de ce qui ne nous regarde guère mais nous concerne très directement.

Feuille blanche


Sourde tentation de garder immaculée ma feuille blanche. Pour la réserver, un instant encore, à tous ces possibles qui affleurent au clair de ma conscience. Ne pas choisir ni se précipiter. Savourer cet instant plein de lui-même, évidé de partis-pris. Folle, l’écriture tente de rompre le charme de l’attente. La plume se pose enfin. Condensation. Précipitation. Émancipation dans un même mouvement. Métamorphose. L’écriture devient libératoire – délivrance à l’enroule de son propre récit. Elle s’arrache à ses propres contingences en s’énonçant. L’aveu. Invitations dissidentes : sois réaliste, raconte l’impossible ! Mises ensemble nos libertés bouleversent les convenances, littéraires et existentielles. Incitations à cultiver nos contrées intérieures selon la loi de nos désirs. Répondre à l’absurde du monde alentour, aux silences du sens en leur imposant nos propres significations. Volonté de laisser fleurir nos vérités – elles s’exposent en fictions relationnelles. Mon intuition scrute les mots à même la vie. J’apprécie ces gambades littéraires concises, emplies de leurs propres vérités.

Souci de soi


Bonhomme, l’homme d’âge mûr puise en lui-même la substance de sa vie. Son style et son rythme. Il s’accorde aux nécessités de son désir, prête attention aux plis de sa volonté, cède entièrement à ses projets eudémonistes. Il vit bien sa vie, se bonifie par l’expérience même de vivre, comme nous l’avons déjà dit. À croire que l’entière création, sa faune et sa flore, les circonstances et même les aléas, les arts et la culture, tout et toutes seraient prédestinés à son bonheur. Et son âme prédisposée à la jouissance. Ne nous laissons pas abuser par cette vision ! Pour tromper, les apparences se donnent l’image, la réalité dépasse toujours les fictions. Si d’être ne se partage qu’à la mesure d’être équitablement ensemble, d’avoir ne supporte guère la violence des rapports de force, les prédations ou les rapines. D’où l’invention de quelques philosophies joyeuses aux principes amènes, fraternels et conviviaux, l’humour et l’esprit critique, la liberté. Idéalisme d’un doux rêveur, pensez-vous ? Essayez la bêtise, ou le capitalisme son acmé et vous en subirez bien vite les effets – désolation, tristesse et solitude …

Caresses


L’homme d’âge mûr se reconnaît au velouté de ses caresses. À cette politesse qui tient à la bonne distance, à l’équité des relations et à la clarté des situations. Les pénétrations intempestives comme les indifférences à l’Autre ou aux autres n’enchaînent plus. Il peut désormais accorder ses préférences aux exigences de son présent. Précisons : être présent à soi même, là réside tout l’enjeu du jeu. En conscience sensible. Afin d’être avec ces quelques-uns qui comptent. Infiniment libres. Tout est possible alors ! Sachant qu’on ne retirera des circonstances qu’à la mesure intelligente de notre contribution. Les délectations du désir sont sensibles à ces affleures où l’on goûte sans prendre, où l’on donne sans posséder, où l’on respecte infiniment pour être délicatement respecté. Jouir, se réjouir. Admiration sans illusion, émerveillement que la vie puisse être ainsi goûtue au sein même du chaos, de l’absurde, des rapports de forces contemporaines, sans leur céder. Mais qui entend encore les silences complices de ce murmure ? Qui partage la mélodie dissidente des effleurements de la main ?

B


Tous les bonheurs de l’âge mûr ont pour initiale la lettre B. Ainsi le beau, le bon et le bien. Mais aussi la badine, les bacchanales, la bade, la bagatelle, le bagout puis la baguenaude, les baisers, les balades, la babiole, le baratin, la barbe, la baise, la bamboula, les banquets, le bidule, ses bijoux et la bidouille, le beaujolais et les bordeaux, la besogne à la brune, la bestiole, les bibliothèques, le bicarbonate, les bien-aimées et les bienheureux, la bière et les biftecks, les billets, les bistrots et les brasseries, le bizarre, les blagues, le bleu, les blogs, le bois, les bolets, la bourrette, le brandy, la bricole et le brie. L’envers du beau, du bon et du bien, c’est la bêtise, les barbares, la bague au doigt, le bagne, les balafres, la barbaque, les barbouzes, les bagarres, les baffes et les bafouilles, le bakchich, les balances, les banques d’aujourd’hui, les bandits des banlieues, les beaufs et les bécasses, la Bible et ses culs bénis, la berlue, le bling-bling, les bisbilles, la blennorragie, les blessures, les bobos et les bobettes, les bombes, le Bon Dieu et ses bondieusards. Et les petits bourgeois la burka à l’index.

Plaisir d’être soi


L’âge mûr se goûte à cette faculté si rare d’être bien avec soi. À ce bonheur d’exister en prenant plaisir à vivre densément. Dans la plénitude de ses propres dispositions. Avec cette assurance d’une élégance assurée par un style accompli. Une manière d’être toute masculine. D’avoir déjà vécu dessille, et libère de toutes les promesses. La grande débrouille avec les contradictions et les inégalités est passée par là. La patine des engagements laisse vives de belles énergies et maintient à distance les cabosses de la vie. L’intelligence reste sensible à ce qui pourrait bien encore advenir. Aucune précipitation ni de lassitude, le désir s’envie de désirer toujours. Et tente aussitôt l’expérience. L’âge mûr – l’âge d’or des hommes – se conjugue au présent de leur plénitude. Cet état où, comme par magie, tout profite et rien ne résiste, s’acquiert et se quitte librement. Un jour l’homme s’éveille à lui-même, il est mûr. Bien sûr, ce bonheur plaisant est incompatible avec le machisme, la bêtise et les conservatismes. Généreux, hédoniste, libre et autonome, l’homme mûr est philosophe, esthète et poète. Il aime la vie.

Extraits de Plaisir de l’âge mûr

Eh ! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
– J'aime les nuages... les nuages qui passent...

là-bas... là-bas... les merveilleux nuages !

Charles Baudelaire. Petits poèmes en prose

Songes d’été


Événements oniriques et relationnels, les nuages nous ont lentement incités à rêver leurs métamorphoses. Ils nous ont aidés à devenir ceux que nous sommes au gré des allégories de notre désir. Sous l’infini de la voûte céleste, l’immensité des nuages s’est réglée sur notre volonté et notre imagination de rêveur nomade, dissident décalé. Nous savons maintenant que la contemplation des nuages implique la dynamique de notre participation. Fluide, mobile, sa substance entre en mouvement et nous lance ses invitations à l’ascension, aux élévations. Elle ravive nos songes d’enfant – le nuage se transformait alors en tapis volant, en manteau magique, dotés du pouvoir exceptionnel de nous transporter sans peine, capables de nous accorder ce que nous voulions. Plus tard, les nuages devenus envols oniriques, voiles célestes couvrant et découvrant les énigmes infinies d’en haut, ont été propices aux voyages et aux déplacements intérieurs, aux précipitations et aux allègements spirituels, fidèles compagnons alors que nous relevions la tête pour faire face, et affronter debout le chemin que nous nous étions tracé. Souvent, devant la chamboule des nébuleuses, nous nous laissions transfigurer par leur expérience inouïe, absolue. Photographiés dans leur étant-là comme cela, nous pensions pouvoir revenir plus tard sur leur ça-été. Vaine tentative. Une distance se maintient toujours devant leur énigme.

Dehors


Il nous faut revenir sur cette liberté suspensive qu’ouvre la marche. Sur l’intensité même de ces hautes présences au-devant de soi. Marcher, c’est aussi se mettre de côté, à l’écart, et vouloir maintenir la distance mesurée qui permet au temps et à l’espace, aux autres, aux situations et aux objets de s’installer dans notre rencontre. Regarder et ressentir. Distinguer ce qui confirme, du dehors, des possibles déjà inscrits en nous. Notre plaisir tient justement de surprendre le bon objet – son prétexte épanouit nos pensées, agite notre sentiment et nous déplace – à notre manière de marcher, à notre propre rythme, en levant la tête vers l’horizon après avoir regardé autour de soi où poser nos pieds. Léger, on relève les yeux pour regarder les nuages en suspension, quitte, pour atténuer la confrontation au fluide de leur présence, à se « cacher » derrière l’appareil photographique, à descendre en nos rêveries, reportant le vertige de notre face-à-face à plus tard. Avec ce souci de se confronter à un sujet des plus quotidien, insignifiant, banal, si intégré à la vie familière qu’il ne devrait plus questionner ni émerveiller. Il faut toute l’intention, l’attention créatrice d’un auteur pour qu’il devienne événement. Et se révèle en donnant un sens singulier, personnel, à des choses si communes. Après l’attrait de l’Orient lointain, des voyages sur la route de la soie, de la Syrie à la Chine par l’Iran, le charme de la flânerie alentie entre Perroy et Genève.

Préférences


Murmure au creux de mon oreille l’alizé de tes rêveries et je te dirai qui tu es ! Je te préciserai aussi, si nomades complices, nous pouvons aller ensemble un bout de chemin et nous réjouir de notre cheminement. J’ai tant plaisir à vivre librement en ma compagnie que je veux bien partager avec qui en sera gré, mais je ne veux en rien sacrifier du désir de mes désirs ! Fort d’une attitude commune devant le quotidien et ses aspérités susceptibles de nous émerveiller – Que voit-on lorsque nous regardons ? Comment accueillons-nous ce qui se présente à notre perception pour le ressentir ? Par quelle intelligence sensible notre contemplation nourrit-elle ses créations intérieures et les transfigure-t-elle en événements, en expériences vécues que nous pourrons partager. Comment nos caresses vont-elles se laisser surprendre par ce qui advient sans posséder ni perturber. Contempler simplement les êtres et les choses dans leur situation jusqu’à ce que ce qui les sous-tend – leur beauté, leur vérité – transcende l’instant pour s’engager dans une narration qui leur accorde sens, saveurs, raisons et expressions renouvelées. Laisser à notre intuition attentive le temps de sa préférence. Ni prendre ou juger, juste jouir de ce qui arrive, voilà ce que j’ai envie de dire à la belle qui se tient là, minaude, devant moi, d’abord préoccupée par l’effet escompté qu’elle veut exercer sur son entourage. Il n’y a pas de combien quand libre la beauté s’offre.

Extraits de Nuages ensuite de 36 photographies de Xavier Lecoultre

À son instant, l’aube affleure comme promesse d’infinité. La couleur chatoyante de l’horizon se propose en intuition d’un advenir. Tout semble s’ouvrir au bonheur du possible journalier. La prédilection de ma contemplation s’accorde à cette tonalité – elle permet d’accéder à la fois aux vérités du monde selon les désirs de mon point de vue situé et aux réflexions introspectives qui m’animent heureusement. À ma sensibilité. Au prétexte de mes réminiscences. Mon regard devient expérience. Il me rend disponible à ces moments d’être singuliers. Des préférences se dévoilent. Des vraisemblances se devinent. En silhouette, les feuilles accrochées au buisson se présentent comme autant de facettes orientées vers leur Sud profond. Des mains tendues à la chaleur naissante du jour. Contraste flatteur entre l’embrassement de l’horizon amarante et l’anthracite des ramilles dispersées en draperie. Cette tension harmonieuse invite aux rêveries. À la disponibilité intérieure. Une liberté introspective favorisée par la sérénité des conditions d’observation. Saisissement d’une révélation. En perspective lointaine, sous le givre, le flou du rideau d’arbres. Au kairos de ce moment privilégié répond une profondeur différentielle sensible. L’opportunité événementielle tenue par une photographie décisive. À sa relation en quelques mots choisis. Être présent à soi ne va pas sans risque. Détour en déprise pour se reprendre, s’épanouir en plaisirs. L’essentiel se joue dans la conscience et l’expression poétique de ce face à face. Un huis clos introspectif, rare épreuve de distanciation avec soi.

Japon, le temps des villes. Évocation de l’expérience légendaire du passage – de l’imaginaire adonis aux rêveries urbaines, de l’avènement d’un désir domicile aux intentions délibérées, et de l’événement du voir aux regards sensibles. Une réalité confrontée à d’infinis détournements. Ici, la dimension esthétique se module comme une aire de liberté d’où méditer le monde à la fois dans une implication confidentielle et par la distanciation. Les récits échangés vont mettre en mouvement la photographie et ses figurations. Ils relèveront des liens émerveillés entre ce que l’image représente et les simulations illimitées qu’elle pourrait signifier. Ensemble, photographies et représentations vont déplier des univers aux multiples facettes. Si la dialectique implique des rapports de force, les correspondances, ainsi inspirées, introduisent à l’amitié des complicités et des entrelacs. Entre autographie et fiction, l’ellipse étonnante effectue et invite le contemplatif lettré à l’interprétation. Elle suggère et incite. Une narration poétique se déploie alors aux confins d’une humanité simplement partagée.

Extraits de Moments d’être à l’ombre du magnolia d’été

Extraits de Le  Temps du Japon

Une œuvre. Une femme. Malbine. Que d’étonnantes rencontres suscitées à chaque fois. Personne ne reste indifférent. Et prend vite son parti. Pour, contre. Nuance, s’émerveille, dédaigne. Détourne le regard ou goûte sans mesure à son plaisir. Révélant ainsi la couleur de ses dispositions intérieures à l’aune des distinctions qui l’animent. Cette faculté de départager – d’un même mouvement, elle met en commun et sépare – invite à vouloir en savoir un peu plus. Pourquoi ? Comment ? Est-ce si vrai que cela ? L’expérience de ces interpellations oblige à s’engager dans des processus de réflexion. À outrepasser les habitudes pour venir bouleverser les frontières de nos disciplines tant elles s’avèrent trop étroites pour éclaircir nos réflexions, et donner forme intelligible à des sensations si prégnantes. Dire implique à son tour un travail sur soi, dont l’écriture d’auteur demeure la forme privilégiée, à son tour partageable. Cette narration documente, clarifie et propose de nouvelles associations de pensées. Des possibles inédits s’ouvrent alors grâce à l’effort de distanciation. Les regards s’affinent, les goûts s’affirment. Des émotions s’épanouissent d’une liberté recouvrée. Notre intelligence s’allège des embrouilles qui assombrissent. Des huis clos se fissurent. Les a priori se font plus discrets. Notre plaisir de vivre, notre bonheur à exister s’élèvent à leur vérité dans l’expérience inouïe de la confrontation esthétique. Contempler une sculpture de Malbine reste une promesse qu’il nous revient d’apprécier au clair de nos rêveries, dont Bachelard affirme qu’elles sont nécessairement littéraires et créatrices. Et si, après une longue vie à l’écart, essentiellement consacrée à son œuvre, Malbine, femme de caractère et de belles convictions, a permis de nous révéler empruntant quelques pas son cheminement, elle aura atteint un de ses desseins.

Extraits de Regards sur l’œuvre de Malbine, une femme d’exception

Rêveries de nuages


De la contemplation des nuages à leur rêverie en nébuleuses s’engage une déambulation révélatrice à la fois des postures, du geste de l’auteur et de nos dispositions introspectives. Ainsi, des rêveries sous les nuages. Des rêveries de nuages. Des nuages en rêveries. Où, délibérément, nous ne verrons que des nuages, rien que des nuages en eux-mêmes, pour eux-mêmes. Que nous désirons regarder selon leurs partis-pris de nuages. Certes, nous devinons bien, mais comme de surcroît, l’attitude et l’invention de la recherche esthétique de Xavier Lecoultre – par un travail ascétique sur la forme, l’auteur s’est confronté à son objet. À la vie simple. À lui-même. Il invite à emprunter une même approche jusqu’à l’expérience infinie des existences intérieures. Ici, le photographe se tient à contre-courant. À la marge du temps actuel et du temps horloger. Dans ce bonheur de s’émerveiller de ce qui se tient là, devant lui quand il lève son regard vers l’horizon. Des nuages. Une contemplation. Les rêveries. Pas un reportage ni un travail conceptuel inscrit dans les courants dominants du spectacle médiatique ou de l’art contemporain. Mais une posture emblématique d’artisan, de poète, de voyageur au long cours, nomade solitaire et généreux alors qu’il nous guide vers l’ailleurs. Il existe dans ces décalages sans cesse interrogés par ce qu’il voit lorsqu’il regarde, sur ce qu’il vit en chemin et partage volontiers dans l’intelligence sensible de son regard.

Avez-vous déjà rencontré la bêtise en son état pur ? Elle s’étale sans honte, dans le sillage de la domination si sûre d’elle-même qu’elle se croit définitive, toute-puissante. Immédiatement, vous comprenez que vous ne pourrez rien contre elle. Qu’avant d’avoir joué vous avez perdu la partie. Consensuelle, elle attire, faisant croire que tout lui est possible, qu’elle peut fleurir dans l’infini et financer l’éternité. Ni la force, ni les ruses de la douceur ne viendront à bout de son indigence crasse. L’intelligence et la compréhension, l’élégance et la beauté ne pourront rien contre son expérience. Désormais sa mélasse va entacher votre destin, vous contraindre malgré tous vos efforts. Dans un dernier sursaut vers l’indigence, elle va se distinguer de la jalousie, de la dernière volonté de la haine et de l’indifférence, ses alliées. Le religieux, le radicalisme voire le conformisme, sont ses formes sophistiquées. Seules l’esthétique et la poésie pourraient lui porter atteinte. Et encore ! Car la bêtise se cache plus loin, au plus profond, dans la séparation de soi d’avec soi, dans cette ultime mise à l’écart, la lésion du désir, ultime sans queue ni tête de l’introspection.

La Chose jaillit de la boîte du Pasdire. Ébahissement total ! De quoi est-elle le nom ? Du trou, de la fente ou de l’énigme de la scène primitive ? De la rêverie, d’une fiction ou de la surprenante présence d’un être ou de l’objet ? De ce lieu disant le si peu par la densification de l’imaginaire ? Pour le préciser, il faut en revenir à la Chose elle-même. Sans détour. Non le spectaculaire, mais l’événement de la césure ouverte sur l’expérience du dedans. Pénétrer là où le subjectif s’approfondit en nomade dans sa propension au plaisir. Et sourit aux simples jouissances. Le merveilleux, la stupéfaction, seraient dans l’être proche, l’objet banal. Mieux encore, dans le menu fait de la vie ordinaire. Ah, mais qui aujourd’hui va se risquer à reconfigurer le sublime du trou, sacrifier à l’avènement des scènes intérieures ou céder à l’aventure de renifler le parfum interdit transgressé dans l’entre-deux ? Bref, qui ose encore acquiescer à la beauté des vérités transcendantes de la Chose ?

À l’éprouve du vide – l’absence, les froidures, l’obscurité, l’enfer de l’indifférence ou pire encore, la bêtise – opposer de frêles apparitions, l’excédence de la feuille luminescente, un léger tremblement de vie suggérée, l’induction de dispositions heureuses de leur élégance. Tenter d’approcher l’entame de cette énigme délicate, dont le ressenti intérieur m’en dit bien plus que ce qu’il ne laisse clairement paraître. Des relations outrepassent la découpe acérée de sa forme illuminée. Sa couleur juvénile transcende son ouverture vers l’intime. Une survenue heureuse de convoquer pour une existence autre, légèrement décalée par l’ajout de mots choisis pour leur semblance poétique à dire la survie.

Extraits de Nuages

Extrait d’Apparitions

Extrait de Ébahissement total

Extrait de Sans queue ni tête

Les jours de beau temps, j’aime partir me balader. En solitaire, pour aller selon mon goût, à mon rythme, suivant mes intuitions. Qu’importe la saison, pourvu que la lumière promette d’illuminer agréablement mon cheminement. Je prépare le nécessaire, m’équipe léger, avec de bonnes chaussures, pour marcher longtemps. Et prends mon indispensable appareil photographique. Quand je m’en vais pour la journée, je choisis quelque victuaille, à boire, une carte de la région si elle m’est inconnue. Et mon couteau, un véritable laguiole, bien aiguisé. Aussitôt prêt, je me rends sur le lieu prévu pour le départ. En ville, plus loin, à la montagne, dans des coins préservés, sauvages, sur le parcours d’une exposition d’art contemporain installée dans la nature, une église romane isolée, voire autour de chez moi, où je vais sans destination précise, juste pour goûter à nouveau au charme de déambuler en liberté. Pour savourer d’être bien avec soi, sans autre utilité que celle de renouveler l’expérience d’une démarche volontairement consentie, et la maîtrise d’un effort à ma mesure. Pour m’outrepasser, à l’horizon de mes limites, celles d’un moment authentique de complétude. Plénitude. Peu à peu, une jubilation délicate me gagne. Je me réjouis de ce qui m’attend. D’aller à la découverte. Ressentir. M’émerveiller de si peu, la silhouette d’un arbre, une fleur, une bâtisse délaissée, un paysage, un mur de pierres sèches, un ruisseau serpentin, l’ombre bienveillante après une longue marche à découvert, une composition originale par l’abstraction de formes géométriques aux aplats de couleurs pures offertes à mon attention. En nomade, dévisager d’autres points de vue. Dès les premiers pas, un sentiment d’heureuse abondance confirme mes dispositions intérieures à la délectation esthétique, puis à l’expression poétique. Je sens, au fur et à mesure que j’avance, une douce chaleur monter en moi. Ma respiration s’est adaptée à mon rythme. Une sensation de bien-être corporel, d’allégement, me gagne. Je perçois de plus en plus finement les odeurs et les parfums, les sons et les couleurs, les traits essentiels qui sous-tendent les alentours, appelés à une existence plus intense encore par les effusions de la lumière ambiante, ses variations d’intensité, dont les ombres suivent mon déplacement. Je sais que tout se joue en ce moment au cœur de mon esprit, dans la finesse des perceptions d’un corps mis à l’épreuve …..

Le carnet de voyage se prête à une belle diversité de lectures, sans s’y restreindre toutefois, grâce à la puissance polysémique des métaphores rapportées des épreuves expérientielles nomades. La bourlingue reste une manière d’aller pour en revenir à soi. D’aviver sa conscience sensible. D’affiner son sens critique. D’advenir à soi en engageant son intuition dans la rencontre délibérée de lieux de passage vers l’ailleurs ou le tout autre. De suivre son inspiration selon son tempérament. De relancer la focale de son attention contemplative tout en jouant à la fois sur l’au-dehors et l’en-dedans. Regarder et ressentir, c’est saisir l’instant de ses appréhensions esthétiques dans leur présent phénoménologique, car rien n’est donné d’avance en ces moments entrouverts sur les mystérieuses immensités de l’infini, de l’éternité ou de l’altérité. Ces impressions se donnent en des images si proches qu’elles flottent au fil de mes désirs ; vagabonder, c’est surtout imaginer et méditer, puis raconter. Passer de la documentation à l’élaboration d’une fiction introspective. Clarifier. Oser. Outrepasser. Pour le simple plaisir. Et l’envie de partager ce que la beauté me fait intimement. Offrir part à l’appréciation subjective de cette jouissance étrange, à chaque fois surprenante, qui me rend soudain plus vigilant aux énigmes du monde sous le regard des surplis de ma vie intérieure. Des rêveries …...

Extraits de Balades

Extrait de Sofia aux Rhodopes

Bien des choses se trament à l’intérieur de l’espace d’écriture réduit à la page, avec une image en contrepoint. Dans ce fragment, l’auteur doit déployer son monde, le récit de sa fiction, selon son goût, à son rythme, et l’illustrer de traits lumineux. De manière à ce que chacun puisse y pénétrer, interpréter et se réjouir de son plaisir propre. De cette traversée ensemble, il retient ce que bon lui semble. En fait, ce qu’il a apporté. Tout à la fois son ombre, son double, la trace de son passé et le chiffre de son advenir. Événement surprenant, il aura été lui-même, et d’autres, en même temps. L’index se dresse, invitant au silence. Sentir la caresse du souffle bleu, l’envoûte des premières fois évanescentes. Être soi-même, c’est souvent se prendre pour un autre. Et jouer au bord de son trou. Le différent, comme la bêtise, n’ont point de limites précises. Ils offrent ces très rares expériences tangibles de l’infini. Un trait traverse le rond.

Oxymore


Comment aborder cette sempiternelle énigme de l’écriture qui, à la fois, réduit un être, une chose, une situation à l’abstraction de la nomination, et les ouvre au monde du sens et de la signification, à la perspective de l’intention et de la jouissance ? Dans son humilité l’auteur assiste à cette tension où la translation littéraire témoigne et crée simultanément de nouvelles relations. La précision à l’autrefois entrevu s’augmente de l’imaginé présentement. La marque laissée s’interprète maintenant à la lumière du désir, de ses écarts. Le convenu est bousculé par le ravissement du plaisir qui n’a de cesse de faire ployer le réel au principe même de sa réalité. Le fil noir de l’écriture de l’auteur illumine son propos subjectif sur la page blanche et tente de dissipes les ténèbres du latent. La vision du contemplatif dévoile d’étranges coïncidences entre sa perception sensible, la faculté de penser, la volonté de dire selon le souffle de son style et à son rythme, la jubilation de donner forme et couleur à la figure créée, le bonheur de partager avec soi et avec d’autres une expérience essentielle en prise directe avec la vie. Raconter sa petite histoire, lire une contribution littéraire, c’est tenter d’éclaircir l’inouï de ce mystère en revivant son incarnation.

Extraits de Du côté de l’autre

Ailleurs, là-bas


Tout a commencé au moment où mon regard s’est posé de l’autre côté. Émerveillement devant cette prodigieuse énigme, à qui je dois tant. Impossible objet de mon désir. L’improbable du réel, à jamais séparé du lieu où mon corps et ma conscience se recouvrent. Selon ce qu’ils sentent et ressentent. Pensées, dires et traces dynamisent le mouvement de leur contemplation. Situation intérieure qui demande à préciser les relations entretenues. À les aménager afin que leurs formes s’ajustent. Et correspondent. J’accorde à ces corrélations esthétiques une importance déterminante. Car elles dévoilent la singularité d’une manière d’être, un style, un rythme. Des intuitions. Une poétique singulière – ils sont langages, sens et significations. Loin des consensus médiatiques, ils se révèlent volonté d’advenir à soi-même grâce au détour obligé par l’autre, expérience existentielle vitale, émancipation vers plus de liberté, résistance créatrice, impulsion spirituelle, exigence d’humanité. Je veux aussi m’accorder ici à ce plaisir de raconter des histoires concises et simples, dont la clarté et la précision repoussent plus avant, vers l’infini, le mystère. Un vide à combler ? Le simple bonheur d’exister, l’ascèse joyeuse de persévérer en soi.

Extraits de À la limite

Figure


Pour se rassurer surgit la tentation d’enfermer l’incandescence de la couleur dans une forme. De chercher, dans le dessin de son apparence une ressemblance, même allégorique, au connu. Le noir alentour tente de contenir le feu de la lumière en lui accordant des traits, un visage. Le passage de la chose à sa représentation par le biais de la photographie protège de la violence du face à face au réel, à l’instant. Pour en saisir le fluide, la puissance émotionnelle, il convient de lui attribuer distinction, sens et signification. Après l’enfermement dans la reproduction, viennent l’enclos des mots, l’assagissement du commentaire, la pacification par la légende contextuelle. Le saisissement littéraire. Sentir, pourquoi pas ? Mais penser le ressentir présente un risque qui ne se prend pas impunément – celui des teintes libres, de la chamboule des énergies vitales, de s’éprouver dans l’expérience d’une présence esthétique en adéquation avec la vie, de délaisser le beau, le sublime ; par effet de distanciation s’égarer dans les méandres doloristes du religieux. Ou l’intérêt des questionnements. À savoir ce qui s’exaspère et s’épuise dans la couleur comme réalité en elle-même, espace musical, instant sensible, intuition esthé-tique. Plaisir.

Anagogie


Pour correspondre à son texte le chroniqueur présente des photographies d’auteur considérées comme autant de consciences visuelles dont la scène lie manière de percevoir, de penser et de dire. D’être. L’économie des moyens mis en œuvre ouvre aux fluidités narratives. Aucune redondance ni de prévalence entre les mots et les images, mais simultanéité dialectique entre diverses modalités de saisir le réel. De l’élaborer en démarches introspectives. Jeu des ombres et de la lumière, des mots et des significations, du cadre et des perspectives, de la distanciation critique et du saisissement fictionnel. Le contenu proposé prend forme. Comme les formes deviennent contenu dans leur effort d’augmenter par leur puissance intuitive la volonté d’être du contemplatif lettré. Mise en relation entre intérieur et extérieur par divers langages. Ici, la dominante jaune-vert filtre les teintes du paysage comme le vitrail altère les formes jusqu’à les métamorphoser. Le penseur a délibérément choisi les conditions de sa détermination. La représentation s’est ouverte aux possibles considérant plus ce qui pourrait être selon son désir que ce qui est ou ce qui devrait être. Choix. Distinction accordée. Une œuvre porte en elle les termes de sa vérité.

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 Jacques Bœsch




Bleu filigrane




Déambulations vers l’intérieur










Le Scorpion bleu